Yslam et ses 1500 soutiens

 

Un message dans la boîte mail: ‘la famille de Mr G. a obtenu sa régularisation.  Elle vous remercie de votre soutien. Bien cordialement à toutes et à tous, sa cousine D.’.  Yslam G... je me souviens de ce petit homme timide et souriant, que j’avais vu il y a cinq mois au CRA  puis, entre deux policiers, au Tribunal Administratif de Versailles.

 

Sa femme était là, menue, au français un peu hésitant, très effacée en apparence mais dont j’allais vite comprendre qu’elle se battrait comme une lionne pour son homme et ses enfants. Comme tant d’autres, Yslam avait été arrêté en rentrant de son travail, lors d’un contrôle d’identité à la gare de Grigny. Bonnes gens, vous pensiez peut-être que la petite escouade de policiers postée discrètement à la sortie était là pour vous protéger des petits trafiquants de tout poil ?  Que nenni ! leur tâche est bien plus urgente : il faut débusquer les pères de famille qui reviennent le soir du chantier et pressent le pas en pensant à leurs enfants. De la place Beauvau, au Ministère de l’Intérieur, leur chef leur a dit de faire du chiffre et, quoiqu’ils pensent en leur for intérieur, c’est ce qu’ils feront : on ne se vante pas d’expulser 30 000 étrangers par an (un toutes les dix minutes, de jour comme de nuit…) sans mobiliser d’importantes forces policières qui auraient peut-être mieux à faire.

 

Venus de leur Turquie natale, Yslam et son épouse étaient arrivés  ici en 2001. Leurs deux enfants étaient nés ici, il avait trouvé du travail dans une petite entreprise du bâtiment, sa femme faisait des ménages à droite et à gauche. La petite, trois ans, était à l’école maternelle. Une des enseignantes, présente au tribunal, rappelait qu’un autre père de famille avait été arrêté l’an passé, mais que finalement la mobilisation des parents, des voisins, des enseignants, et le soutien sans faille de Réseau Education sans Frontières avait permis sa libération. Le gamin, huit ans, était visiblement perturbé  mais, pour l’heure, son père pouvait le prendre dans ses bras. Les policiers d’escorte souriaient, un peu gênés.

 

A l’audience, c’est tout juste si le patron d’Yslam n’implore pas le tribunal : ‘c’est mon meilleur ouvrier, son dossier de régularisation par le travail a été déposé et j’ai besoin de lui. Sans lui, mes deux chantiers prennent du retard. S’il vous plaît, aidez-le’. La juge écoute, le greffier prend des notes, la famille, les amis, les soutiens écoutent en retenant leur souffle…dans quelques instants, le verdict tombera :  Yslam est débouté, il retourne au CRA en attendant son expulsion.

 

Le lendemain, un petit groupe se réunit à l’entrée de l’école maternelle, il y a les deux cousines déjà vues au tribunal, quelques enseignantes, des voisines peut-être… arrivent deux militantes de RESF : vous croyiez qu’on va laisser tomber ? Il y a trois cents signatures sur la pétition, c’est beaucoup trop peu, if faut  faire signer demain sur le marché de la grande Borne, contacter Untel, toi tu iras voir monsieur G. au CRA, qui en a bien besoin. Non, cette famille n’est pas seule, on ne peut pas décider du sort et de la vie des gens dans l’anonymat d’un cabinet préfectoral, et l’homme aux 30 000 expulsions n’est pas tout-puissant. Dans un coin, l’attachée parlementaire d’un député local prend des notes, sans dire grand-chose, mais enfin elle est là.

 

Dimanche au marché de la Grande Borne : il y a du monde, du monde, des couleurs, des senteurs qui circulent… le printemps est là, les gens oublient leurs soucis. Trois heures qu’on demande aux gens de signer. Expliquer, ne pas seulement faire appel aux sentiments, mais dire qu’on peut faire quelque chose, que les gens ont des droits, remercier sans insister ceux qui parfois te disent qu’eux-mêmes, leurs papiers… Nadja de l’Observatoire, est au marché de Palaiseau et fait signer là aussi. D’autres liront et signeront l’appel sur le site de RESF.  Mercredi, quant une délégation se présentera à la préfecture d’Evry, elle aura près de 1 500 signatures avec elle. La mairie, la directrice de l’école, le Secours Catholique et d’autres sont aussi là. La préfecture a beau feindre d’ignorer les pétitions, il faut croire qu’elle s’y intéresse quand même : l’après-midi, Yslam est relâché. Il faudra encore se battre jusque à ce beau jour où le message des cousines  circule dans les boîtes mail. Décidément, rien, dans le cas d’Yslam  et de son épouse, ne s’opposait à ce qu’ils aient un titre de séjour, qu’ils puissent travailler librement, que monsieur prennent le train à Grigny sans avoir la peur au ventre.

 

Vous auriez peut-être pu vous en apercevoir plus tôt, à la Préfecture ? Et pourtant, il faudrait vous remercier. Ce n’était sans doute pas tout à fait ce que vous pensiez lors des discours officiels, mais vous aurez appris à des centaines de gens, à Grigny comme ailleurs, que la démocratie est un combat, et qu’on peut le gagner.

Pierre