Vassiliev,  François, Line et les autres

Depuis l’ouverture du CRA de Palaiseau, celle que nous appellerons Line partage une partie de son temps avec les personnes retenues contre leur gré à quelques pas de chez elle. Elle pratique une veille citoyenne, hissant une passerelle entre sa ville et ces hommes qui vivent derrière les murs du Centre de Rétention en permanence dans l’angoisse d’être expulsés de France.

Comme de nombreuses retraitées, cette Palaisienne partage son temps entre vie associative,  petits-enfants et amitiés.  Mais depuis que le Centre de rétention administrative de Palaiseau a été construit, à son grand dam, non loin de chez elle, elle a rejoint l’Observatoire Citoyen et rend visite aux retenus. Rien que ce dernier semestre, elle a rencontré à peu près vingt-cinq personnes de toutes nationalités ; Cap-verdien, Indien, Mauritanien, Marocain, Algérien, Arménien, Congolais, Turc, Egyptien, Géorgien, Angolais, Camerounais. La liste est longue et inachevée. Attentive, elle leur a rendu visite, tentant de les aider, de les soutenir, de faire reconnaître, non sans difficultés, leurs problèmes de santé quand ils en avaient. Le regard  bienveillant et tonique, elle les écoute, les conforte dans la mesure de ses moyens. Une carte de téléphone. Un change récupéré à Emmaus ou au Secours Populaire. Elle leur conseille de rencontrer de nouveau l’un des juristes FTDA (France Terre d’Asile) présent au Centre pour compléter leur dossier, contacte leurs amis ou leur famille, les Associations de défense, leur avocat quand ils en ont un.

Leurs visages, leurs voix, aujourd’hui se mêlent. Tigra, Olivier, Mamadou, Jacques-Alain, Tarik, Abdellatif, Serge, Zacharia, Vassiliev, François, Antonio, elle les a rencontrés ces dernières semaines ; ils ont vécu le même scénario, arrêtés dans une gare ou dans un centre commercial, la plupart ont été expulsés, d’autres libérés. « Tous vivent en permanence dans l’angoisse, souligne-t-elle, avant ils ont peur d’être arrêtés, évitent les gares quand c’est possible, après leur arrestation, peur d’être expulsés, de voir leur vie déjà bien souvent difficile totalement brisée ; dans le centre, les rondes de police, la nuit, les réveillent en sursaut, certains ne retrouvent pas le sommeil et ressassent sans cesse leur stress. J’ai rencontré une noria de gens qui n’ont rien à faire ici à Palaiseau, derrière ces murs, ils travaillaient dans des domaines où il n’y a pas de concurrence, sur les chantiers, dans la restauration, le nettoyage, les soins à la personne et se retrouvent face à des conditions d’accès au pays de plus en plus drastiques et arbitraires. Même une carte de dix ans, avec une attestation de dix ans de vie passée en France n’est plus suffisante ! »

Elle témoigne de leurs  vies à la fois  différentes et aux trajectoires si semblables. Celle de François Malanda est exemplaire : après dix-neuf ans passés en France comme ouvrier boulanger, il est arrêté à la gare de Vigneux pour manque de papiers, il avait fait en 2002 au bout de dix ans de travail une demande de régularisation qui était restée sans suite en préfecture. Il vient d’être expulsé au Congo-Brazzaville où il ne connaît personne, n’a pas de travail, n’a rien. Son arrêté de reconduite à la frontière est caduque depuis le 11 mai. Cela n’a pas empêché son expulsion le 1er  juin quelques jours après ! De quoi s’est rendu coupable cet ouvrier qui à 42 ans est déjà usé par ses années de  boulangerie en France ? De n’avoir pas suffisamment convaincu son patron de lui donner le temps de relancer la préfecture, d’avoir sous-estimé l’importance des papiers administratifs dans notre société ? D’un excès de confiance en son pays d’accueil, d’une trop grande naïveté ? Aujourd’hui comment vit-il à Brazzaville ? Et ici quel goût a le pain qu’il ne pétrit plus ?

 

Claude