Tu passes devant sans le voir

 

Il n'est pas signalé, il est caché, coincé entre le commissariat et l'hôtel des impôts. Une grille blanche, une plaque grise, Centre de Rétention Administratif, un interphone où c’est écrit, sonnez, alors tu sonnes, une fois, deux fois, trois fois un grésillement puis une voix maussade se fait entendre.

« Oui, c’est pourquoi ? »

-« C’est pour une visite. »

-« Les visites sont terminées » et on raccroche.

Il est 11h10 tu avais compris que c’était jusqu’à 11h30,la plaque des horaires a été arrachée, tu re-sonnes…

-« Quoi encore ? »

-« Est-ce que vous pouvez me donner les horaires ? »

-« 9 11/14-17 »

On raccroche. Tu n’as pas eu le temps de dire merci.

A 14h tapantes tu es à l’entrée du CRA et tu sonnes une fois, deux fois, trois fois : grésillement et la même voix que le matin

-« C’est pourquoi ? »

-« C’est pour une visite, »

-« Va falloir attendre »

T’es un peu surprise car t’es sûre qu’il n’y  avait personne avant toi, mais tu attends, tu restes là sous l’œil de la caméra.Au bout de 20mn, grésillement :

-« C’est pour qui ? »

-« Comment ? »

-« La visite, c’est pour qui ? »

Tu donnes le nom qu’on t’a donné le matin même en téléphonant à la cabine.

-« Mr Gabongo, ça s’écrit comment ? »

Tu épèles le nom mais t’es pas sûre .

-« Gabongo Idriss, c’est ça , vous avez une pièce d’identité? »

-« oui »

-« Attendez !»

La porte s’ouvre, tu longes une allée grillagée, une deuxième porte et tu entres dans le Centre.

Deux policiers sont à l’accueil, tu es surprise par leur jeunesse, sur leur uniforme il ya écrit PAF, police de l’air et des frontières.

-« Pièce d’identité, votre portable et vos clefs, attendez ! »

Une porte claque , une autre s’ouvre un policier arrive et te dit

-« Passez ! »

Tu passes sous un portique de sécurité qui sonne, s la culpabilité t’envahit, aurais-tu une arme à ton insu ?  -

« C’est les chaussures , y mettent du métal dans les chaussures, va falloir les enlever ! »

Tu obtempères  vaguement soulagée de voir que tu n’as aucun objet répréhensible sur toi, tu repasses  sous le portique qui reste silencieux.

Tu remets tes chaussures  et tu entres dans une cabine réservée aux visites.

, Et là tu vas rencontrer un homme

Un homme, qui comme tant d’autres avant lui  été ramassé, interpellé, intercepté, alpagué, sur le seul motif qu’il n’a pas de papiers, un hommes dont on coupe les attaches, dont on piétine les espoirs, dont on broie la dignité, à qui on refuse le droit d’exister, un homme sans papier. Aujourd’hui, cet homme, c’est  Mr Gabongo.

Tu ressors remuée jusqu’au tréfonds, tu as envie de crier , et surtout de le défendre lui et les autres, tu te démènes. Mais comment trouver un avocat, s'ils n’ont pas le sou ?

Les seuls que tu connaisses sont surchargés, épuisés, ils n’en peuvent mais, ils ne sont qu’une poignée on leur demande de plus en plus, mais parfois ils acceptent encore et c’est sur leur dimanche , leurs heures de liberté qu’ils vont défendre  des retenus , tu admires leur générosité.

Cette semaine il n’y a personne au tribunal, alors tu y vas.

Oh ! Surprise tu découvres que si ces Hommes sont sans-papiers, ils ne sont pas sans dossiers, dossiers parfois épais qui sont là pour prouver leur non existence, leur non appartenance à notre communauté et pourtant il ya dedans des quittances de loyer, des certificats médicaux, des carnets de santé, des fiches de paie, des feuilles d’impôts, les actes de naissance des enfants, la naturalisation des parents.

Mais tout cela n’est pas suffisant pour avoir une carte de résident.

Le Juge des La détention  et des Libertés, est un fonctionnaire il est là pour faire fonctionner la machine judiciaire, la permanence c’est son jour de corvée, .

Il est là pour traiter les dossiers pas pour les instruire, quand à l’avocat de permanence  ou commis d’office il est là pour tenir lieu de défense.

Ce qui t’étonne, c’est que le dossier a plus d’importance que la personne qu’ils ont en face d’eux ils ont le nez sur leur feuille, ils ne le regardent  pas, ne l’entendent pas, il est invisible, ils vont au plus facile, au plus rapide  ils confirment la mesure de placement, et celle d’éloignement.

Et encore  à la séance à laquelle tu as assisté il y avait un dossier, des fois il n’y a rien même pas de non-preuves.

 

Puis, le Juge prononce cette phrase étonnante

-«  il n’y plus qu’ à attendre le laissez- passer. »

Les Hommes sans papiers vont avoir un laisser -passer , enfin ils vont être libérés !

Eh ! bien non, grave erreur !

Ce laissez-passer est une permission pour l’expulsion, pour retourner dans le pays où ils sont nés

Il claque la porte de l’avenir, dit que l’Homme sans-papiers s’est fourvoyé dans un sens interdit.

Il doit rebrousser chemin  retourner de là  d’où il vient, peu importe si il est devenu un étranger dans son pays de nationalité ,parce que cela fait plus de 20 ou 30 ans que l’Homme sans papiers est arrivé en France.

Il n’y a plus qu’ à attendre, qu’à  espérer qu’il n’y aura pas de laisser-passer.

23ème jour ,31ème jour, 43ème jour, courage on tient le bon bout.

Le matin du 44ème jour il sont venus, ils ont embarqué l’ Homme sans papier, à l’aéroport ils l’ont ligoté, scotché, porté dans l’avion.

La loi dit 45 jours de rétention. Après c’est la liberté !

Tu viens de comprendre que dans ton pays l’Ordre et la Loi s’oppose à la Justice et au Droit.

Tu retourneras au CRA, , tu sonneras une fois, deux fois, trois fois

Elisabeth