A l’Observatoire, notre première rencontre avec Mamady  a eu lieu le lundi  7 février 2011.  Le matin, un coup de téléphone rapide à l’une des cabines du  Centre de rétention de Palaiseau  juste pour confirmer une visite à un retenu. « M. Ibrahima, il a été libéré samedi,  répond une voix inconnue au téléphone, mais moi, j’aimerais bien vous rencontrer » Aussitôt dit, aussitôt fait, notre première rencontre a lieu l’après-midi même.

 

Mamady K. est  un jeune Malien, depuis maintenant deux ans en France. Malgré la fatigue, l’angoisse, et les traits tirés, il a le sourire contagieux, timide et bienveillant. Il évoque l’inquiétude de sa famille, de ses cousines et de sa sœur qui vivent à Créteil. Oui, il a une copine qui attend un bébé mais gêné, il préfère ne pas en parler. Alors que faire ? Il s’est pratiquement résigné. Daouda  un ami qui le conseille, pense qu’il n’y a plus rien à essayer et qu’il va être expulsé dans la semaine.  Ses yeux à la fois injectés de sang et jaunâtres semblent le faire souffrir. La lumière le gêne énormément. Il se tient la tête sous l’effet d’une forte migraine. Oui, il a de graves problèmes de santé en particulier aux yeux depuis très longtemps, confirme-t-il.

 

Il a d’ailleurs été arrêté mardi soir dernier à la gare de Choisy- le-roi, avec un passeport tout neuf qu'il venait de recevoir à l’ambassade du Mali. Il pensait en avoir besoin pour pouvoir bénéficier de l'Aide Médicalisée, ce qui n’était pas nécessaire. Vraiment pas de chance. Après une garde à vue, il est passé le vendredi 4 février devant le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) de Créteil qui l’a condamné à une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) : Comme ses papiers étaient à l'adresse de sa cousine à Créteil, que son nouveau passeport était à celle de sa compagne en Seine-Saint-Denis et que l’adresse d’un autre M.K. arrêté en même temps que lui, lui est également attribuée par erreur de la police, le juge  tranche lapidaire :" celui qui a trois adresses, on ne sait pas où le trouver, OQTF ".  L’autre M.K., pourtant pas mieux pourvu que lui, est relâché. « Tant mieux pour lui, si Dieu le veut », ponctue Mamady, fataliste. Sa famille vit en France, père Ancien Combattant français. Compagne enceinte. Rien n’y  fait. Pas plus, le samedi après-midi, devant la cour d'appel de Paris, en présence de famille et d’amis venus le soutenir, qui confirme quinze jours de rétention.

 

Il était passé devant le Tribunal administratif de Versailles le lundi matin juste avant notre premier entretien, l'avocat commis d'office, en retard, n'était toujours pas arrivé au moment de son passage, qu’importe à la justice française,  aucun des documents qu'avait amené sa famille présente à l’audience sur son père,  sa copine enceinte, rien n’a pu être pris en compte. Il n’a jusque là bénéficié d’aucune vraie défense. C’est pourquoi quand nous nous rencontrons pour la première fois, Mamady, sa famille et son ami se sont résignés : ce n’est pas la peine de prendre un avocat, « Si Dieu le veut », répète–t-il.

 

Avec le juriste de FTDA présent dans le Cra, nous évoquons ses  problèmes de santé qui jusque-là n’ont pas été pris en compte. Il a déjà un rendez-vous  le 11  février prochain à Créteil dans le  service d'ophtalmologie du Professeur Soubran mais il faudrait qu’il obtienne l’autorisation d’y aller même escorté, d’ici là, il risque d’être expulsé et comment obtenir l’autorisation du préfet. Pourtant une chose est sûre : il a vraiment besoin de soins. Maimouna, sa cousine confirme. Depuis son enfance,  il a des problèmes de santé en particulier des migraines et mal aux yeux.

 

Une course de vitesse commence alors entre la reconnaissance de son besoin de soins et la menace d’expulsion qui pèse sur lui. Avec son ami, il est d’accord pour qu’un avocat se mette à travailler sur son dossier.  En est-il encore temps ? Il contacte alors un avocat pour la première fois ;  pendant toute la crise, l’avocat, et le juriste de FTDA, vont travailler ensemble et essayer toutes les procédures possibles. Le mardi, bien que le médecin passe au Centre, Mamady ne parvient toujours pas à obtenir une consultation.  Et le jour même, son expulsion est annoncée pour le lendemain. Son vol vient d’être  inscrit pour Bamako le mercredi 9 sur le tableau.

 

Premier vol

 

Le mercredi matin, il est emmené à Roissy, tôt,  et conduit le premier dans l’avion pour arriver bien avant les passagers du vol de 16H10 pour Bamako. Il ne dit rien, laisse la police l’installer et sortir de l’avion, les passagers commencent à arriver. « J’ai alors appelé les hôtesses, je leur ai dit que je ne voulais pas partir  car j’avais des problèmes ophtalmologiques et que je devais être soigné en France. J’ai demandé à parler au Commandant de bord. J’ai du insister, il ne voulait pas venir. Après plusieurs demandes, il est venu, m’a vu et m’a dit, oui tu es malade, cela se voit, je ne t’embarquerai pas ! Il a alors appelé la police pour qu’elle me fasse descendre de l’avion ! » Voilà comment Mamady raconte le lendemain, son expulsion repoussée de la veille ! Contrairement à d’autres retenus envoyés en garde à vue, il a été raccompagné au Centre de rétention. Il est un peu moins fataliste. Sokolo, sa copine l’appelle au téléphone, elle va bien, elle est heureuse qu’il ne soit pas parti et pas emprisonné pour refus d’expulsion, comme toute la famille et l’ami Daouda.

 

En revanche il n’a pas obtenu le droit d’être escorté à sa consultation à l’hôpital de Créteil le lendemain et aucun rendez-vous n’a encore été pris dans un autre hôpital pour voir un spécialiste. Le vendredi, il est enfin ausculté par le médecin du Centre de rétention qui demande un rendez-vous à l’hôpital chez un ophtalmologiste. Rendez-vous est pris pour le jeudi suivant. Encore six jours à attendre avec la menace d’une expulsion à tout moment. Le dimanche 13 février en fin de matinée,  pendant la visite de Michel Rouyer, maire-adjoint de Palaiseau et de Nadia Costes, responsable de la LDH-Orsay, tous deux membres de l’Observatoire, venus le soutenir, il apprend qu’il  est  embarqué illico-presto pour un vol à Roissy. « Un policier lui a précisé que sa pathologie n’avait rien de grave selon lui et qu’il devait être reconduit aujourd’hui à Bamako. C’était terrible, je l’ai vu se décomposer, » se rappelle Nadia Costes qui ne comprend pas que les retenus ne soient pas prévenus de leur expulsion dans un délai plus décent. « Le tableau où sont inscrits les vols qui sont exposés aux retenus était vide pour aujourd'hui. Il n’a pu revoir ni sa famille ni ses amis avant. »Il est embarqué pour Roissy quasi immédiatement. Ni son avocat, ni Nadia, ni Michel, présents sur place, ne peuvent rien faire, à part donner l’alarme.

 

Deuxième vol

 

C’est un dimanche midi, il faut aller vite, l’Observatoire s’organise dans l’urgence pour assurer la liaison entre Mamady d’un côté, son avocat de l’autre, sa famille et amis et ceux qui partent à Roissy.  Une petite lettre d’information sur la situation de Mamady est rapidement préparée, Michel, Nadia et Catherine se retrouvent à 13H30, à l’embarquement du vol, Roissy terminal DE AF 3096, Bamako, départ 16H10 et la remettent discrètement de la main à la main aux passagers qui viennent embarquer et surtout ils leur expliquent la situation de Mamady. Ils rencontrent pas mal de compréhension. Surtout de la part d’une grande dame. « J’avais été emmené comme la première fois, laissé assis dans l’avion par la police ; quand les premiers passagers ont embarqué, j’ai demandé aux hôtesses  qu’elles appellent le commandant car je ne voulais pas être expulsé, je devais aller à l’hôpital le jeudi suivant, je devais rester en France. Le commandant ne voulait rien entendre. Les hôtesses non plus. Mais une grand dame aux grigris qui venait alors d’entrer dans l’avion  quand elle m’a vu essayant de convaincre l’équipage de ne pas m’embarquer, elle a refusé de ranger son sac et de s’assoir et elle s’est mise à discuter avec les autres passagers, leur disant qu’ils ne pouvaient pas accepter non plus que je sois expulsé de France contre ma volonté, moi qui avais visiblement besoin de soins et dont la copine attendait l’enfant ! »

 

Très vite, les passagers qui avaient déjà été tous informés au moment de l’enregistrement de leurs bagages par les Amis de l’Observatoire de la situation de Mamady ne veulent pas qu’il soit embarqué contre son gré  et tout comme la grande dame, non seulement quelques-uns  mais tous unanimes, ils se relèvent de leur siège, refusent  de s’assoir, reprennent leurs sacs et demandent à être débarqués si Mamady est expulsé. Le commandant de bord cède alors et demande à la police de venir débarquer Mamady, calmant ainsi ses passagers.

 

Mamady en rit encore de soulagement et de reconnaissance. Belle, rassurante victoire de la solidarité ! Surtout quand on pense à un vol de la même ligne Paris-Bamako qui avait abouti à la mise en garde à vue de plusieurs passagers allemands ayant refusé d’embarquer avec un Malien expulsé comme Mamady.

 

De nouveau, retour au Cra de Palaiseau. On peut s’en réjouir. Maintenant Mamady a gagné en confiance et optimisme. Nous à l’Observatoire, nous n’osons plus croire en une libération possible. En effet son dossier n’a pas progressé d’un iota. Il peut toujours être expulsé du jour au lendemain. Comme il devait être embarqué le dimanche, son rendez-vous à l’hôpital n’a pas été pris. Il faut de nouveau voir le médecin. L’infirmière doit insister pour obtenir un RV en urgence à l'hôpital d'Orsay. Jeudi, il obtient enfin cette consultation tant demandée. Au moment où il est à l’hôpital, qu’un spécialiste trouve très préoccupant son état diagnostiquant qu'il devra se faire opérer des deux yeux, on apprend qu'un vol est prévu le lendemain à 15H30 à Orly ! Une course contre la montre commence alors. Un dossier est en train d'être fait auprès de la DDASS  pour que Mamady puisse être libéré pour pouvoir se soigner.

 

Nous informons François Lamy, député maire de Palaiseau, Marjolaine Rauze, vice-présidente du Conseil Général de l’Essonne, maire de Morsang, Bernard Véra, sénateur, et du Val-de-Marne puisque son interpellation a eu lieu à Choisy le Roi, Pierre Gosnat député-maire d’Ivry, Odette Terrade, sénatrice. Ils interviennent en urgence auprès du préfet du Val-de-Marne pour qu’il revienne sur son arrêté de reconduite à la frontière pour soin.

 

Troisième vol

 

Mais un vol est toujours programmé le vendredi en début d’après-midi. Et au Centre rien n’a changé. L’avis de l’inspecteur de la DDASS va-t-il arriver suffisamment à temps chez le préfet. Celui-ci va-t-il en tenir compte ? Tenir compte des interventions d’élus qu’il connait bien. De toute façon, nous partons quelques-uns pour être à Orly au moment de l’enregistrement des bagages afin d’informer les passagers. A 11H30, Mamady nous appelle très inquiet, il doit  se préparer pour quitter le Centre de rétention et être emmené à Orly.   Nous le prévenons que cette fois, étant donné que c’est sa troisième expulsion, il risque d’être scotché et  bâillonné. Nous n’en menons pas large quand nous arrivons au parking d’Orly. Là, coup de téléphone pratiquement inaudible de Mamady, tant il est ému, nous craignons le pire mais non, c’est le meilleur qu’il annonce : l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière du préfet vient d’arriver au Centre juste au moment où il allait en partir pour Orly. Il sera libéré en début d’après-midi ! Quelle joie, quelle émotion de le rencontrer à Palaiseau, en pleine rue, libéré, libre ! Rien n’est simple pour autant quand nous nous revoyons quelques jours plus tard autour d’un bon repas malien avec familles et amis, les formalités à la préfecture de Seine-Saint-Denis ne sont pas une sinécure mais Mamady va pouvoir se faire soigner, assister à la naissance de son enfant, essayer de régulariser sa situation.

 

Bientôt avec les derniers changements en matière de droit des étrangers, tous les autres Mamady ne pourront rester en France pour être soignés, le gouvernement a annoncé que ce droit fondamental va être supprimé.

 

 

 

Claude