A Madame Jocelyne Guidez,
Sénatrice de l'Essonne
Madame la sénatrice,
Demain le Sénat va débattre de la proposition de loi n°149 déposée par
plusieurs député·e·s le 24 octobre 2017 à l’Assemblée, et adoptée en
première lecture le 7 décembre 2017.
Cette proposition de loi, censée permettre « une bonne application du
régime d’asile européen », intervient donc en amont du projet de loi
Asile et Immigration qui sera débattu par le Parlement à partir de fin
février.
L'Observatoire citoyen du CRA de Palaiseau dont je suis président désire
vous faire part de sa plus extrême préoccupation à l’égard de cette
proposition de loi. Comme le notait le Défenseur des Droits dans un
courrier à la Commission des Lois de l’Assemblée du 29 novembre 2017,
celle-ci « fait prendre à l’histoire de la rétention administrative des
étrangers un tournant sans précédent ».
Le texte cherche à sauver le Règlement Dublin en le renforçant alors que
ce dernier, depuis des années, se révèle vain, inéquitable et
inefficace. Les mesures plus que coercitives qu'il contient ne feront
qu’augmenter les multiples atteintes aux droits qu’engendre déjà
l’inapplicabilité de ce Règlement, sans pour autant le rendre efficace.
Placer en rétention un étranger dès le lancement de la procédure Dublin,
alors que celui-ci ne fait l’objet d’aucune mesure formelle
d’éloignement, fait courir le risque d’enfermer des personnes en séjour
régulier, en violation de l’article 5 de la Convention Européenne des
Droits de l’Homme.
Sont menacées également des personnes éligibles à d’autres formes de
protection que l’asile, telles que les victimes de la traite ou les
étrangers gravement malades, qui risquent l’enfermement avant même
d’avoir pu accéder à leurs droits.
La détermination du « risque de fuite », qui va fonder le placement en
rétention, parce qu’elle se fera dans un contexte général de saturation
des guichets de la préfecture, ne permettra pas l’évaluation de la
vulnérabilité des personnes. Il en va de même du « défaut de coopération
» de l’étranger avec les autorités administratives, mal défini, et qui,
dans ce même contexte, se prêtera à des interprétations arbitraires et
sans équité.
Enfin la proposition de loi porte gravement atteinte au droit d'asile
lui-même, et au respect des obligations internationales de la France à
cet égard. Elle vise en effet à placer en rétention des personnes dont
les empreintes apparaîtraient dans le fichier Eurodac avant même
qu'elles aient pu enregistrer leur demande d'asile, bafouant ainsi un
droit fondamental.
En conclusion, cette intention de renforcer l'application du Règlement
Dublin, loin d’aboutir à une « fluidification » du système, à un «
désengorgement » des préfectures et à une juste répartition des
demandeurs d’asile dans l’espace européen, va au contraire augmenter la
grande précarité des concernés, les situations de détresse, de danger et
de non-droit, ainsi que l’exaspération et l’épuisement des agents de
l’État et des travailleurs sociaux. L’absurde jeu de ping-pong des États
européens avec les personnes migrantes va s’accélérer sans solution, en
continuant de mettre ces personnes en danger.
Ainsi la France choisirait d’accroître la coercition et la rétention des
étrangers sur son sol, pour appliquer un Règlement bien mal mis en œuvre
par les autres États d’Europe, alors qu’une clause discrétionnaire de ce
même Règlement, dite « clause de souveraineté » permet à chaque État
membre de décider d’examiner une demande de protection internationale
présentée par un ressortissant d’un pays tiers ! Cette clause indique
clairement la voie à suivre pour que cessent les désastres humains
occasionnés par une application systématique des transferts prévus par
le Règlement.
Nous inscrivons la lettre que je vous adresse aujourd'hui dans le cadre
des États Généraux des Migrations (EGM), qui rassemblent près de 500
organisations dans toute la France dont nous-mêmes.
J'espère vivement, Madame la sénatrice, que vous entendrez ces
inquiétudes. Avant de se prononcer, le Sénat avait souhaité entendre le
Défenseur des Droits sur la version du texte adopté par l’Assemblée
nationale ; celui-ci a émis un avis le 10 janvier 2018, en annexe de ce
courrier. Nous vous appelons à en prendre connaissance, et, dans sa
continuité, à faire le choix de la justice et des droits, en ne votant
pas cette proposition de loi.
Dans cet espoir, veuillez agréer, Madame, l’expression de mes
salutations distinguées.
Antoine Ermakoff
President de l'Observatoire Citoyen du CRA de Palaiseau